Vers l’effondrement de la réputation occidentale
La guerre en Ukraine
INTERNATIONAL


Après le monde bipolaire, existant depuis la fin de la seconde guerre mondiale et jusqu’à l’implosion de l’Union Soviétique en décembre 1991, l’actuel conflit sur le territoire de l’Ukraine est le point de gravité dans le processus de transition entre deux grandes époques de l’histoire contemporaine : l’ancienne – unipolaire – qui a perduré durant les 30 dernières années et la nouvelle – multipolaire – post-hégémonique, qui est née fin février 2022.
N’étant guère adepte des théories communistes, je ne peux, toutefois, ne pas constater que les évènements d’aujourd’hui ne sont que l’adaptation moderne, le reflet dans le miroir du vieux principe des révolutions exprimé par Vladimir Lénine déjà en 1913 dans son ouvrage « Le premier mai du prolétariat révolutionnaire » : les classes inférieures ne veulent plus vivre à l’ancienne, tandis que les classes supérieures ne peuvent plus gouverner à l’ancienne. Soit, l’impossibilité pour la classe dirigeante de maintenir sa domination sous une forme inchangée. Aujourd’hui, les « classes supérieures » sont le monde occidental gravitant autour des États-Unis d’Amérique et les « classes inférieures » – le reste de l’humanité.
Une fois de plus, l’histoire n’apprend rien aux « élites » et les époques se remplacent de la même manière qu’il y a un siècle : dans la violence.
Les discours sur la défense de la liberté, de la démocratie et des nobles valeurs et, donc, occidentales que l’Ukraine représente et défend ne sont que les narratifs « atlantistes » développés via l’appareil de propagande des médias mainstream, afin de justifier auprès des masses électorales préformatées les initiatives controversées entreprises par les représentants du pouvoir actuel du bloc de l’occident collectif américano-centrique. Des narratifs très éloignées de la tragique réalité ukrainienne du pouvoir.
Sans entrer dans le détail des intérêts profonds des États-Unis d’Amérique dans le cadre de la guerre en Ukraine qui s’y déroule depuis 2014, des intérêts directement basés sur la stratégie globale de la défense des éléments existentiels pour l’état américain (voir mon analyse « la guerre en Ukraine : la Genèse »), il est à noter que l’arrivée à leurs objectifs préétablis se traduisait par l’affaiblissement politico-économique significatif de la Russie d’une part, en tant qu’un des acteurs majeurs vis-à-vis du système des pétrodollars et, d’autre part, en tant que partenaire stratégique de la Chine tant dans le domaine économique, dont les deux pays ont une véritable complémentarité, que politico-diplomatique et militaro-technologique.
Le piège anglo-saxon
Les États-Unis d’Amérique se sont retrouvés devant un dilemme existentiel : d’une part, le scénario positif pour Washington dans l’issue de cette guerre devient chaque jour de plus en plus irréalisable ; d’autre part, les Américains ne peuvent pas se permettre de ne pas s’impliquer dans la confrontation en cours.
La victoire est un élément vital concernant la réputation mondiale des États-Unis, et de leurs partenaires européens en tant que première puissance politico-militaire – un élément vital vis-à-vis du futur de la civilisation Occidentale.
Ce qui n’était guère un élément existentiel au début du conflit – en est devenu un dès l’engagement ouvert et radical de l’intégralité du bloc occidental dans les hostilités. Aucun retour en arrière n’est possible.
Vu la spécificité de la situation politique interne aux États-Unis, conditionnée par les dernières défaites militaires en Syrie et en Afghanistan, il ne leur était pas possible d’entrer en guerre seuls ou qu’en tandem avec le monde anglo-saxon. Le monde anglo-saxon, dans lequel il n’était pas nécessaire de convaincre le Royaume-Uni de prendre part au conflit, vu le processus engagé par la Chine et la Russie dans l’effondrement des réseaux néocoloniaux, notamment britanniques, sur le continent noir et qui mènera, à terme, à de très graves répercussions vis-à-vis du système financier de la City de Londres – centre traditionnel du brassage des gigantesques revenus de l’exploitation des matières premières de l’Afrique.
Un travail en profondeur a été réalisé, très certainement, auprès de Bruxelles. L’Union Européenne et ses pays-membres sont tombés dans le piège américano-britannique qui a stimulé les égos des élites du vieux continent avec la grandeur et la domination du passé. Continent qui est en déclin constant avec l’émergence de nouveaux centres de gravités idéologiques en Chine et en Russie. Il leur a été proposé de retrouver leur grandeur et leur domination en entrant dans une guerre, estimée gagnée d’avance, contre les nouveaux challengers.
(…)
Le choix des Français
Non seulement faire valoir les intérêts stratégiques de la France sous le fonctionnement actuel de l’Europe à 27, dont les intérêts de plusieurs états-membres sont pratiquement à l’opposé de ceux des Français, est une totale utopie, mais le retour même à l’Europe des Six de 1973 n’est guère une solution salvatrice, comme elle est, parfois, présentée par certains analystes.
Car, depuis les 40 dernières années, l’Allemagne a subi de profondes mutations concernant ses doctrines et stratégies de développement à long terme qui, sur plusieurs éléments-clés, vont directement à l’encontre des intérêts politico-économiques et militaro-industriels de la France.
Dans ce contexte, si la France, en ce qui la concerne, ne prend pas un chemin nettement souverainiste dans la protection de ses intérêts nationaux vis-à-vis de sa participation dans des blocs internationaux américano-centriques, dont le réel rôle de Paris n’est plus qu’auxiliaire ; si les élites politiques actuelles n’apprennent pas à développer leurs capacités de vision à long terme – il n’existe strictement aucun projet national digne de ce nom avec une vision ne serait-ce que sur les 15 années à venir – le processus de désagrégation de l’image de la France en tant que puissance ne va que s’amplifier et ses capacités de projection à l’international continueront à se restreindre, ce qui, à terme, mènera inévitablement vers la marginalisation du peuple français vis-à-vis des processus qui construisent le monde de demain.
Oleg Nesterenko
Président du Centre de Commerce & d’Industrie Européen,
Ancien directeur de l’Institut International de la Reconstruction Anthropologique,
Ancien directeur de l’MBA, professeur auprès des masters des Grandes Ecoles de Commerce de Paris.
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