« Notre politique libre-échangiste ne contrôle plus rien »
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Jeudi 19 octobre, des vignerons français en colère ont formé un barrage filtrant à la frontière avec l’Espagne afin d’empêcher les importations de vins étrangers. Entre les aléas climatiques, l’inflation des charges, la concurrence déloyale et les campagnes de santé, nos producteurs sont étranglés et ne peuvent plus s’aligner. Certains en sont même réduits à arracher leurs vignes. Explications avec Grégoire de Fournas, député (RN) de la Gironde et lui-même viticulteur.
Iris Bridier. Quelles sont les contraintes qui pèsent sur les viticulteurs français non sur leurs confrères espagnols ?
Grégoire de Fournas. Il y a deux différences majeures dans le traitement des viticulteurs français et espagnols. Il s’agit du coût de la main d’œuvre d’une part et des normes environnementales d’autre part. Ces deux différences installent une concurrence déloyale entre eux. C’est malheureux qu’il n’y ait pas de système de protection aux frontières pour nous protéger de cette concurrence : elle ne pénalise pas seulement les viticulteurs français mais aussi tous nos agriculteurs.
I.B. La France a importé en 2022 plus de 6 millions d’hectolitres de vin, alors que certains vignerons en France sont contraints d’arracher leurs vignes. Comment expliquer ce paradoxe ?
G. de F. C’est complétement incompréhensible. Cela résulte d’une politique libre-échangiste qui ne contrôle plus rien. Et ce qui se passe pour le vin, il en est de même pour les poulets, pour les fruits et légumes et bientôt pour la viande bovine. Tous les secteurs de l’agriculture française sont concurrencés déloyalement par d’innombrables pays. Encore une fois, il n’y a aucun système de protection contre cette concurrence déloyale, contre laquelle nous sommes incapables de nous battre. Jamais nous ne pourrons rivaliser avec le coût de main-d’œuvre de l’Espagne, du Brésil ou de la Pologne. Il faut être capable d’inventer des solutions. La question des clauses miroirs (clauses de réciprocité dans les accords commerciaux) avait été évoquée, mais elles ne fonctionnent pas, parce qu’il y a l’Union européenne, l’Organisation Mondiale du Commerce, et l’incapacité pour la France de contrôler les méthodes de production dans les pays concurrents. Donc, nous sommes toujours face à une impasse qui détruit malheureusement notre agriculture d’année en année.
À ce sujet — Sauvegarder notre patrimoine : en commençant par le vin ?
I.B. Est-ce à dire que la France a perdu sa souveraineté agricole et viticole ?
G. de F. Nous pourrions être souverains, nous avons la capacité de fournir les marchés, nous exportons encore un peu. Ce n'est pas normal qu'avec des vins de renommée mondiale, on en soit réduits à aller chercher des vins en Espagne !
I.B. La solution pour aider nos vignerons se trouve-t-elle au niveau français ou européen ?
G. de F. Dans l’état actuel du droit, c’est l’Union européenne qui décide. Mais la solution se joue à l’échelle française, il faut que le gouvernement soit capable d’établir un rapport de force efficace au sein de la Commission européenne pour défendre nos intérêts économiques et stratégiques. C’est une question de volonté de l’Etat français. Par idéologie européenne, il ne veut pas remettre en cause l’ouverture des frontières. Par ailleurs, chaque année, le ministère de la Santé fait des campagnes anti-alcool qui pointent directement la consommation du vin. C'est problématique alors qu’il existe une consommation responsable. C’est plutôt cela qu’il faut valoriser au lieu de stigmatiser les viticulteurs.